Cuba : La situation n’est pas désespérée, mais elle est grave

Les Cubains ont clairement connu des jours meilleurs. La vie est très difficile pour tout le monde ces temps-ci. Nous avons contacté Aisa, Jo et Noël, certains de nos amis cubains et belges qui sont sur place, et leur avons demandé comment ils vivent la situation. Ils décrivent les faits, analysent les causes et expliquent comment les Cubains luttent pour s’en sortir. Notre solidarité est plus que jamais nécessaire.

LES FAITSSi vous vous promenez dans La Havane aujourd’hui, vous verrez partout de longues files d’attente aux bodegas, où sont distribués le pain, le riz, l’huile, le poulet, …, en partie garantis par le carnet de tickets. L’« avantage » des files, c’est que « Si no hay cola, no hay nada » : s’il n’y a pas de file d’attente devant un magasin, c’est qu’il n’y a rien à obtenir, donc vous savez qu’il est inutile d’y perdre votre temps. Faire la queue vous prend une bonne partie de la journée, et si vous avez du mal à tenir debout, ou si vous avez simplement un emploi à plein temps, vous n’avez pas d’autre choix que de faire appel à des personnes dont le travail est de faire la file pour vous, afin de pouvoir préparer un repas le soir.

Ceux qui ont suffisamment d’argent, grâce à leur travail ou à leur famille à l’étranger, peuvent également faire la queue dans les magasins MLC ou les magasins à dollars. MLC est l’abréviation de Moneda Libremente Convertible : monnaie étrangère librement convertible. Ces magasins vendent une gamme de plus en plus réduite de produits importés à des prix toujours plus élevés. Dans les magasins ordinaires, certains choses ne sont plus disponibles, une bière, par exemple. Dans les MLC, cela coûte l’équivalent d’environ 250 pesos, ce qui n’est pas vraiment abordable pour tout le monde. Pire encore, les spéculateurs achètent les stocks disponibles dans les MLC et les revendent à plus du double du prix à ceux qui peuvent se le permettre. En agissant de la sorte, ils rendent ces produits encore plus inabordables pour tous, dans le but de s’enrichir sans vergogne grâce à la crise.

Le salaire moyen se situe autour de 3 900 pesos, mais l’inflation, qui a déjà atteint 6,6 % cette année pour les prix réglementés, érode davantage le pouvoir d’achat. D’autant plus qu’elle est beaucoup plus élevée sur le marché informel. De nos jours, de nombreuses personnes ne peuvent plus se permettre que le strict nécessaire. Cuba distribue toujours cette base absolue de manière équitable, mais avec beaucoup plus de difficultés. Cette économie de guerre accroît à nouveau le fossé entre ceux qui bénéficient ou non de devises étrangères, par le biais de leur famille aux États-Unis ou en Europe, ou d’un emploi dans le tourisme.

Ces emplois sont en outre beaucoup moins nombreux qu’avant la crise du coronavirus. Si le tourisme a bien redémarré, il est encore loin d’atteindre le niveau antérieur à la pandémie. Les Canadiens et les Cubains vivant à l’étranger constituent les deux principaux groupes des 4,7 millions de touristes qui ont visité l’île en 2018. Mais aujourd’hui, ceux-ci doivent souvent faire face eux-mêmes à la diminution de leur pouvoir d’achat. Cela vaut également pour les touristes européens.

Pour ne rien arranger, un hôtel récemment rénové au cœur de la zone touristique de la Havane a explosé au début du mois de mai. Heureusement, il n’était pas encore ouvert, mais 40 personnes ont tout de même perdu la vie. On ne peut imaginer pire publicité, bien que Cuba soit une destination touristique très sûre.

Depuis quelques mois, les Cubains connaissent également un phénomène qui leur semblait bien lointain : des « apagones », c’est-à-dire des coupures d’électricité. Pour assurer une couverture complète constante, les centrales doivent être arrêtées, en attendant le carburant ou les pièces à réparer. Avec des températures dépassant les 30° de plus en plus tôt dans l’année, l’absence de climatisation n’est pas une partie de plaisir, sans parler de la perte de production et de l’arrêt de toutes sortes de services en raison d’un manque de TIC.

En plus de cette vie très difficile, Cuba a récemment subi un ouragan sur l’ouest du pays. Un quart de la Havane a été inondé, et 200 maisons ont été endommagées. Une grande partie du tabac (un produit d’exportation important) a été perdue, et l’agriculture en général a subi de nombreux dommages.

Cette catastrophe naturelle a encore aggravé l’état des routes, qui n’ont jamais été aussi détériorées, ce qui rend encore plus difficile la distribution des rares marchandises et le transport des passagers.

Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que le nombre d’émigrants soit en hausse, surtout parmi les jeunes. Ils rejoignent les nombreux réfugiés d’Amérique centrale qui tentent de rejoindre la « Terre promise » en faisant de nombreux détours. Les Cubains cherchent également une vie meilleure, mais ce n’est pas la faim ou la violence qui les pousse à partir. S’ils arrivent aux États-Unis, ils disposeront également d’un niveau d’éducation bien plus élevé que leurs « compagnons de voyage » du Honduras, du Guatemala ou du Mexique, pour trouver un emploi, légal ou non. « Si » … parce que beaucoup ont vendu tout ce qu’ils possédaient à Cuba, y compris leur maison, mais sont arrêtés en cours de route et renvoyés au pays, où ils doivent alors repartir de zéro.

LES CAUSESLa pandémie et la guerre en Ukraine provoquent une grave crise économique dans de nombreux pays du Sud. Ces pays risquent la faillite parce qu’ils ne peuvent plus rembourser leurs dettes. Le Sri Lanka est déjà dans le cas. D’autres pays suivront sûrement. La famine menace également. Depuis 2020, près de 100 millions de personnes dans le monde sont tombées dans l’extrême pauvreté. Cuba ressent ce malaise mondial, mais connaît aussi des problèmes très spécifiques. Cuba vit depuis plus de 60 ans sous blocus, le plus long de l’histoire du monde, que lui impose la plus grande puissance mondiale de tous les temps : les États-Unis. Ceux-ci interdisent non seulement tout commerce entre eux et leur voisin, mais ils menacent aussi quiconque dans le monde fait des affaires avec l’île. Depuis 2018, l’année où Trump s’est installé à la Maison Blanche, le blocus n’a cessé d’être renforcé. Exemple tristement symbolique de ce blocus : en pleine crise du coronavirus, des respirateurs importés de Suisse n’ont pas pu être livrés, alors qu’ils étaient destinés aux patients en soins intensifs. Selon des études économiques sérieuses, sans le blocus, l’île rivaliserait avec l’économie du Portugal. Cuba serait bien à même de résister à la crise économique mondiale actuelle, sans ce blocus interminable. À cause de celui-ci, les Cubains sont progressivement au bout du rouleau. Outre cette cause absolument majeure, d’autres facteurs transforment en ouragan la « tempête parfaite » dans laquelle se trouve aujourd’hui l’économie cubaine.

La dégringolade du tourisme : environ un tiers des devises étrangères à Cuba proviennent du tourisme. Le Covid a donc été un très gros coup économique pour l’île. En outre, il y a eu les mesures prises par Trump : interdiction pour les bateaux de croisière, réduction maximale des vols directs, restriction de l’accès aux autorisations de voyage… Le nombre de touristes est passé de 4,7 millions en 2018 à 356 000 en 2021, soit une baisse de 82 %. Actuellement, le nombre de touristes est toujours inférieur à la moitié de ce chiffre de 2018.

Un autre blocus imposé par les États-Unis : le Venezuela est en effet lui aussi sous blocus. Or, ce pays fournissait à Cuba du pétrole à un prix raisonnable et représentait 33 % des exportations cubaines. Le Venezuela, qui tente lui-même de garder la tête hors de l’eau, ne peut plus exporter de pétrole, et ne fait pratiquement plus de commandes auprès de Cuba.

Déclin de la coopération médicale : Pour Cuba, la coopération médicale est devenue une source de revenus très importante. Les États-Unis font tout ce qu’ils peuvent pour drainer cette source. Deux pays ont suivi les USA sur cette voie : 6000 médecins cubains ont été renvoyés par Bolsonaro. La même chose s’est produite en Bolivie.

L’allocation de beaucoup de moyens à la lutte contre le Covid : La gestion cubaine de la crise du coronavirus a été une réussite. En comparaison avec notre pays, le nombre de décès dus au Covid est quatre fois inférieur à Cuba. Mais cela a un prix.

L’île a concentré beaucoup de moyens dans la lutte contre le Covid : beaucoup d’heures de travail ont été dédiées au suivi des contacts, aux mesures de quarantaine, …

Et d’argent, pour maintenir l’appareil médical à niveau malgré la crise, pour produire leurs propres respirateurs …

Dans le même temps, les laboratoires de pointe cubains ont développé cinq vaccins, qui ont été utilisés avec grand succès dans leur propre pays, et que Cuba exporte désormais aussi vers d’autres pays. Cependant, le rendement de ces efforts est plutôt faible, d’une part parce que Cuba ne veut pas pratiquer des prix exorbitants comme le fait Big Pharma, et d’autre part, parce que la certification internationale est encore largement en attente. L’influence des États-Unis dans de nombreux organes compétents n’y est sans doute pas étrangère.

La guerre en UkraineLes problèmes logistiques provoqués dans le monde entier par le Covid persistent, et sont exacerbés par le boycott contre les navires russes. Partout, les commandes arrivent avec de longs retards, et Cuba est en bout de chaîne. À cause du blocus, les lignes d’approvisionnement de Cuba (de Chine, d’Europe, …) sont beaucoup plus longues et plus coûteuses que nécessaire. 6000 conteneurs de marchandises payées sont attendus sur l’île, mais sont coincés indéfiniment dans des ports étrangers. En outre, en raison du boycott financier, d’autres commandes sont payées beaucoup trop tard, et avec des coûts de transaction élevés…

La flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, pour laquelle la guerre est souvent plus un prétexte qu’une cause, fait pâtir dans le monde entier et menace de provoquer des famines sans précédent dans les pays en développement. Cela ne se produira pas à Cuba, car leur socialisme garantit la répartition la plus équitable possible en cas de pénurie : mieux vaut tout juste assez (ou tout juste trop peu) pour tous et toutes, que de laisser des gens mourir de faim à côté de personnes aisées. Cela ne rend pas l’épreuve moins difficile pour tous, mais le fait qu’elle soit portée par la solidarité aide certainement à y faire face.

DIRE LA DURE VÉRITÉDans son discours du 1er mai 2000, Fidel Castro a proclamé le « concept de révolution » : « La révolution, cela signifie […] ne jamais mentir ». Il est important de nommer et de contextualiser correctement les problèmes et les causes, ainsi que d’indiquer clairement comment les problèmes doivent être abordés. « Nous devons toujours faire prévaloir la vérité », a récemment déclaré le Président cubain Díaz-Canel.

Le parti et le gouvernement cubains connaissent les difficultés et ne les cachent pas. Le 14 juin, le Président Díaz-Canel et son gouvernement ont tenu une réunion de concertation avec tous les gouverneurs provinciaux, pour discuter de tous les problèmes liés à l’inflation, à l’approvisionnement, à la production et au travail pour que les compagnies maritimes livrent à temps les matières premières commandées et payées. L’approvisionnement en électricité et les récents problèmes d’eau ont également été abordés. L’abondance d’eau a peut-être été bénéfique pour certaines cultures et pour reconstituer les réserves, mais elle a également causé beaucoup de dégâts aux maisons et aux routes. Et d’autres inondations sont prévues.

Les problèmes doivent être abordés de manière approfondie et raisonnée, en accordant une grande attention à la population. Chaque mauvaise réponse à un problème, chaque incompétence d’un fonctionnaire ou d’une institution ne fait que rendre la situation plus difficile. Les dirigeants doivent être sur le terrain et écouter, informer, expliquer concrètement et, si possible, trouver des solutions. Ils doivent faire appel aux militants du parti et à la population. Aucun d’entre eux ne peut rester indifférent.

Au cours des dernières semaines et des derniers mois, les hauts dirigeants du parti se sont rendus dans différentes provinces, afin d’examiner comment les décisions du dernier congrès du parti ont été mises en œuvre. Écouter et soutenir le peuple sont les mots clés.

Dans le même temps, le président salue le travail accompli : les ouvriers, notamment ceux qui travaillent dans l’approvisionnement électrique, font des heures supplémentaires ; les agriculteurs consacrent toutes leurs forces aux récoltes ; les cantonniers réparent les dégâts causés par les inondations…

Le gouvernement et les autorités locales travaillent très dur pour résoudre les problèmes les plus urgents ; le programme de rénovation des quartiers défavorisés se poursuit, … Beaucoup de choses se passent. SE PLAINDRE ET PROTESTERLes Cubains ne sont pas les derniers à se plaindre et à nommer les problèmes. Et ils en ont bien le droit. Aujourd’hui, les médias sociaux multiplient à grande échelle la portée de ces plaintes. Les médias traditionnels à l’étranger se font l’écho du moindre problème à Cuba, même si la situation est bien pire aux États-Unis.

Le gouvernement et le(s militants du) parti réagissent. L’ingérence et la manipulation étrangères sont réelles, mais cela ne doit évidemment pas conduire à une situation où les personnes qui dénoncent des abus ou des problèmes sont commodément rejetées parce qu’elles seraient soi-disant des agents payés. Les plaintes et les problèmes sont, comme toujours (et de plus en plus en raison des algorithmes des médias sociaux) l’objet de la plus grande attention. RÉSILIENCE ET CONFIANCELa grande majorité des Cubains tiennent bon au milieu de cette crise. Cette réalité est à peine mentionnée en dehors de Cuba. Pourtant, partout, nombreuses personnes ordinaires retroussent leurs manches, malgré leurs propres difficultés.

Ainsi, le samedi 18/6, le président était encore en visite dans le quartier d’El Fanguito, à l’ouest de La Havane, le long de la rivière Almendares. Depuis quelque temps, un programme y est en cours pour construire de nouvelles maisons en collaboration avec les résidents locaux. Ces logements seront principalement destinés aux personnes proches de la rivière, qui ont été inondées à nouveau il y a quinze jours. Dans le même temps, la rivière doit être nettoyée rapidement : il faut enlever la saleté et les débris d’un pont précédemment effondré.

Le Président Díaz-Canel a insisté pour que les nouvelles maisons soient conçues en étroite concertation avec les résidents locaux, et pour que les gens soient convaincus de l’importance de s’éloigner un peu plus de la rivière. Des projets similaires sont en cours dans les districts d’El Ponton et de Cerro. À chaque fois, le président a insisté sur une bonne communication et une participation concrète des habitants.« Je suis convaincu que nous allons nous en sortir, même dans les pires conditions. Nous pouvons le faire et nous le ferons », a déclaré le président avec optimisme. Il nous appartient de soutenir cette admirable combativité de la grande majorité des Cubains, par une solidarité concrète et politique. Soutenez le travail de notre mouvement Cubanismo.be et devenez membre maintenant, plus que jamais. Voyage Cubanismo 2022En juillet 2022, 26 Belges partiront à Cuba pour près de trois semaines, sous la houlette d’Isabelle, Leen, Erwin, Kasper et Toon, de la direction de Cubanismo.be. Ils découvriront de leurs propres yeux et oreilles les problèmes auxquels les Cubains sont confrontés, et la manière dont ils y font face. À leur retour, les voyageurs raconteront en détails leurs expérience, notamment à ChePresente@ManiFiesta. ACHETEZ VOTRE BILLET ICI. Avez-vous des questions spécifiques pour les Cubains ou les voyageurs ? Envoyez-les nous par mail (kasper@cubanismo.be) et nous les poserons pour vous. Et vous pourrez toujours nous inviter par la suite pour discuter de ce que nous aurons vu et entendu là-bas.

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